Installation sur 4 écrans
Film de danse ? Danse filmée ? Ou chorégraphie fantôme, cherchant dans la nature même du mouvement la matière trouble de son imaginaire ?
En 2016, Boris Charmatz signe danse de nuit, une performance nocturne pour l’espace urbain dont les matériaux chorégraphiques alimentent le film Daytime Movements. L’installation filmique réalisée par l’artiste Aernout Mik en collaboration avec le chorégraphe Boris Charmatz nous place à la frontière : dans cette « danse de jour » où le désordre des corps s’immisce dans un environnement quotidien, chaque geste cache ou révèle d’autres signes chargés d’une inquiétante étrangeté...
« Dans le silence et le retranchement intérieur, les danseurs semblent s’oublier et faire corps avec les objets, avec les paysages, pris dans une transe hypnotique qui se prolonge chez le spectateur par le dispositif immersif de l’installation. La violence des gestes impose aussi ses émotions, interrogeant les positions passives et actives. La caméra filme en s’approchant ou se détachant, construisant son langage et son montage, créant son rythme. La collaboration est aussi la prise de risque d’une recherche qui se poursuit dans le territoire de l’autre. »
Guide du visiteur du Nouveau Musée National de Monaco, 2016.
AERNOUT MIK : Daytime Movements est le résultat d’un travail très improvisé de Boris Charmatz et moi. Par admiration réciproque pour nos travaux, nous avons essayé de mettre en place une situation expérimentale qui nous permettrait de faire se rencontrer nos façons de travailler et peut-être même de les fusionner. Notre idée de départ était que Boris tente des choses pour une nouvelle chorégraphie (tout en y participant) et que je redirige l’ensemble de l’extérieur. Dès le début, cette situation était délibérément incohérente. Plus personne n’avait de contrôle sur ce qui se passait et de nouvelles solutions devaient être trouvées sur place. On pourrait considérer cela comme un acte violent : l’ordre se désintégrait constamment, des tensions se créaient. A partir de cette situation sans structure, chacun (qu’il soit protagoniste ou membre de l’équipe de tournage) a dû trouver de nouvelles façons de faire pour « être ensemble ». De cette situation très spécifique et complètement décontextualisée, sont alors apparues des images qui, de manière fantomatique, pourraient être traces de la violence et des menaces que connaît l’Europe et qui sont inscrites dans notre conscience collective. Mais sans jamais aborder le sujet trop frontalement...
BORIS CHARMATZ : La violence ? Je ne sais pas. Le projet n’était pas « sur » la violence, ni même sur quoi que ce soit d’autre !
Le projet est avant tout parti d’un immense désir et de l’admiration que je porte au travail d’Aernout Mik. Mais le gros problème était que, d’une certaine manière, la chorégraphie était déjà présente dans ses œuvres, de façon presque invisible mais non moins essentielle : elle assure l’accord subtil du chaos. Apporter des corps de « danseurs professionnels » et une dramaturgie chorégraphique « traditionnelle » pouvait mettre en péril cet art d’accorder ensemble des mouvements générés dans des situations apparemment improvisées… Nous avons donc décidé que je pouvais jouer le « chorégraphe » au sein d’un groupe mixte de danseurs et de figurants, dans deux situations très spécifiques : en extérieur, dans un parking et, dans une salle type cafétéria ou restaurant. [...] J’avais préparé quelques idées et matériaux chorégraphiques à tester, mais quelques minutes après le début du tournage, il était évident que « nous » n’allions pas réussir à produire un impromptu chorégraphique, à partir d’une série de pas…Dans ces conditions difficiles, avec le froid et l’humidité de cette place de parking, avec le sol recouvert de boue et de crasse, avec ce chien qui traînait et cet artiste (Aernout) qui donnait des indications contraires à celles que j’essayais moi-même de formuler, l’« impossibilité » de la situation est devenue la véritable structure de la chorégraphie.
On pourrait dire en quelque sorte que la violence, ou la dureté de ce rêve inaccessible porté par un groupe cherchant à réaliser un mouvement collectif est finalement devenu l’enjeu du travail. L’échec, la difficulté, l’impossibilité, la rage et la direction à l’aveugle constituaient ma partition, plus que toute autre forme d’écriture chorégraphique préconçue. [...] Nous avions le sentiment que tout le monde devait se libérer de ses projections, de ses attentes pour expérimenter librement cette situation instable où les rôles des uns et des autres étaient flous.
De ces longs moments passés à expérimenter, échoué, persévérer, des « scènes de chasse » ont émergé. « Pratiquer » le parking comme une pseudo-forêt a soudain donné naissance à un groupe de chasseurs qui portaient des fusils, s’en servaient, tiraient dans le vide, alors qu’au même moment, la terreur des attentats grandissait en France et en Europe. Des fantômes de notre temps nous ont-ils rejoints ?! Mais puis-je dire que la violence était là ? Pas sûr.
Tous autant que nous étions, ensemble ou chacun de son côté, nous tentions de trouver un moyen d’exister dans un lieu, dans un film, dans un groupe étrange, en France, en Europe, cernés par une violence, une colère qui montaient, tout en ne faisant finalement que de l’Art, libre de toute prise en considération d’un sujet ou d’un thème à traiter ?
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Durée : 30’19’’ (2 écrans) et 25’11’’ (2 écrans)
Gilles Amalvi, Pascale Autret, Ronan Barbedor, Nuno Bizarro, Marine Bouilloud, Fabrice Bouvais, Ashley Chen, Carole Contant, Matthieu Doze, Olga Dukhovnaya, Peggy Grelat-Dupont, Jean-Charles Foubert, Jolie N’gemi, Marion Régnier, Caroline Roger, Kaya Sasaki et un chien
Cette œuvre s’adresse à un public averti.
Assistante à la réalisation : Marjoleine Boonstra
Décoratrice : Elsje De Bruijn
Caméramans : Benito Strangio, Istvan Imreh, Aldo Lee
Assistants caméramans : John Dekker, Hugues Forget, Lisa Moullec, Erik Wiedenhof
Régie générale : Jean-Charles Foubert assisté d’Angèle Laroche
Habilleuse : Marion Régnier
Direction de production : Amélie-Anne Chapelain, Sandra Neuveut, Chantal Nissen
Production : Chantal Nissen et Musée de la danse / Centre chorégraphique national de Rennes et de Bretagne – Direction : Boris Charmatz. Association subventionnée par le ministère de la Culture et de la Communication (Direction Régionale des Affaires Culturelles / Bretagne), la Ville de Rennes, le Conseil régional de Bretagne et le Conseil général d’Ille-et-Vilaine.
Remerciements : Action Ouest, la Chambre des Notaires, Citédia, Théâtre national de Bretagne
Courtesy : Carliergebauer, Berlin
Réalisé en 2016